La journée mondiale de la liberté de la presse a été célébrée ce 3 mai au Bénin comme partout ailleurs dans le monde. Fidèle à sa tradition, l’organisation internationale Reporter Sans Frontières (RSF) a publié son classement mondial de la liberté de la presse. Nous nous sommes posé la question de savoir où en est le Bénin dans ce classement qui est devenu un baromètre d'appréciation de la liberté d’opinion et d'information.
Le Bénin se positionne à la 89ème place de ce classement RSF 2024. À titre de comparaison, il fait moins bien que le Niger (80ème) et le Burkina Faso (86ème), et un peu mieux que le Sénégal (94ème) et le Togo (113ème).
On note un progrès par rapport à 2023 où le pays n’était classé que 112ème, soit un gain de 23 places en un an.
Mais quel type de réalité cachent ces chiffres?
Sur l’échelle qualitative à 5 niveaux utilisée par l’organisation, le Bénin fait partie des pays dont la situation en matière de liberté de la presse est plutôt considérée comme « problématique ». Cette qualification est bien sûr à relativiser - les Etats Unis s’en tirent avec le même attribut. Mais peu importe, lorsqu’on part du constat dressé par l’organisation, on peut apprécier l’état de la liberté de la presse à travers une grille d'analyse en trois points.
La première concerne le cadre législatif. Le Bénin dispose bien d'un arsenal législatif qui régit à la fois la libre expression dans le cadre des activités de l’information et de la communication et les conditions d’exercice de cette activité. Ce cadre est défini par la loi n° 2015-07 du 20 mars 2015 portant code de l’information et de la communication et la loi n° 2017-20 portant code du numérique.
Mais certaines dispositions du code numérique dans son application ouvriraient la voie à des dérives. L’article 550 « Harcèlement par le biais d’une communication électronique » et d’autres dispositions dans leur interprétation seraient ainsi à l’origine d’arrestations et de détention de plusieurs journalistes. Dans une publication de 2021, RSF se joignait à une tribune signée par plusieurs titres de la presse du pays pour appeler à une réforme de ce code.
Le deuxième point de cette grille d’analyse concerne la configuration politico-médiatique de l’environnement de la presse au Bénin et qu’on retrouve également dans plusieurs autres pays d’Afrique. Cette configuration distingue deux presses. Une presse consensuelle avec le pouvoir et qui en contrepartie bénéficie de ses faveurs, et une presse jouant la neutralité, mais plus exposée lorsque ses publications vont à l’encontre des positions ou des personnalités du pouvoir.
En troisième point, on note, que ce soit au Bénin ou un peu partout sur le continent africain une presse avec des moyens très limités fonctionnant sur un modèle économique marqué par un déséquilibre entre les revenus très faibles et essentiellement publicitaires et des charges élevées. Cette situation contribue d’ailleurs à la bipolarisation observée (presse favorable au pouvoir versus presse favorable à l’opposition). Autrement dit, il faut rouler avec le pouvoir en place pour espérer de quoi "faire tourner la boutique" ou alors se faire neutre ou porte-parole de l’opposition avec le risque de s’attirer les foudres du pouvoir.
Dans ce contexte rapidement décrit, la presse numérique est devenue le modèle de compromis aujourd’hui. Il nécessite peu de moyens et moins de contraintes logistiques. Dans les régimes ou la parole du pouvoir en place est la seule considérée comme vraie et où la contradiction n’a pas sa place, encore moins les critiques, seule l’information via les sources numériques parvient encore à résister aux tentatives de conditionnement populaire. Il est en effet plus facile pour les régimes répressifs de s’en prendre aux infrastructures (locaux, matériel et autres) et aux journalises opérant localement que d’empêcher une information de circuler sur des plateformes web d'où qu'elle provienne. C’est le principe de l’excès de la loi qui finit par donner lieu à des comportements de contournement encore plus importants, ou dit autrement l’excès dans la répression finit par devenir contre-productif pour les régimes qui y ont recours.
Rappelons cependant que la profession doit également prendre sa part de responsabilité à l’heure où il devient de moins en moins évident de distinguer la vraie information de la fausse information communément appelée « fake news », un phénomène accéléré par les réseaux et les plateformes d’informations en ligne. Multiplier de vigilance, mieux se former, collaborer en réseaux de professionnels, etc. sont quelques pistes parmi tant d’autres pour maintenir le degré de professionnalisme à un niveau acceptable et tenir son rôle de quatrième pouvoir.
Dans un monde de plus en plus complexe, l’intelligence collective, la liberté d’opinion et la liberté d’expression doivent être utilisés comme outil de progrès collectif à l’échelle de la Nation car la pensée unique fait fuir les talents, favorise la médiocrité et finit par créer un désert de compétence qui fait reculer pendant que les autres avancent.